Restauration de dessus de porte de l’Hôtel de Panette.
Des décors italiens conservés à Bourges.
La profession de conservateur-restaurateur s’exerce selon deux modes de travail : les restaurations en atelier et les restaurations in situ. La restauration de quatre dessus de porte du « salon bleu » de l’Hôtel de Panette fut l’occasion de concilier ces deux pratiques. En décembre 2016, deux peintures sur toile encastrées dans des boiseries furent restaurées en place, au sein du salon. En février 2017, l’opération de sauvegarde se prolongea par la dépose, la restauration en atelier et la repose des deux dessus de porte les plus endommagés. Cet article retrace les opérations de conservation- restauration menées sur ces œuvres du XVIIIe siècle.
Le décor du salon bleu de l'hôtel de Panette.
Des boiseries pour écrin.
A sa création en 1418, sous le règne de Jean de Berry, l’Hôtel de Panette est construit pour les Trésoriers de la Sainte Chapelle de Bourges. L’état actuel de l’édifice est l’héritage de sa reconstruction au XVIIIe siècle par le marquis de Tristan. L’organisation intérieure et les décors sont alors marqués par l’art de la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle ; notamment suite à l’acquisition de l’édifice en 1818 par le marquis de Panette. Parmi la succession de pièces du rez- de-chaussée se trouve la salle à manger, dite « salon bleu ». Ce salon arbore un décor de boiserie moulurée . L’essence du bois est le chêne et les moulures sont en bois plein recouverte de stuc. Nous sommes donc certainement en présence d’un décor du XVIIIe siècle. Les boiseries ont fait l’objet d’une restauration fondamentale en 2012.
Le salon comporte trois portes d’accès et une porte aveugle. Chacune d’entre elle est surmontée par une boiserie. Celle-ci est de forme cintrée et marquée par la présence de volutes aux angles. Un élément végétal mouluré couronne l’ensemble. ces éléments de boiseries s’insèrent dans le reste du décor où ils sont maintenus grâce à des taquets en bois. C’est dans cet écrin de bois que reposent quatre œuvres aux décors romantiques : les dessus de porte de Panette .
Quatre paysages de ruine romantique.
- Iconographie
Les quatre peintures ont été exécutées à l’huile sur toile. Un seul artiste semble avoir réalisé l’ensemble du projet décoratif pour lequel nous n’avons trouvé aucune signature. Pour chacun des dessus de porte sont représentés plusieurs ruines antiques et un élément aquatique. Le premier dessus de porte (en entrant dans le salon au fond à gauche) se caractérise par la présence d’un lourd vase antique devant un temple en ruine. A l’arrière plan, un bras d’eau. Le dessus de porte qui lui fait face présente trois ensembles de ruines. Le temple du centre est entouré par l’eau et le temple de gauche est précédé d’une sculpture représentant un centaure chevauché par un enfant. Le troisième dessus de porte (côté jardin), situé au dessus de la porte d’accès au salon montre de nouveau une représentation de ruines devant une rivière. Et le quatrième (côté jardin) se distingue par la qualité d’exécution de la fontaine centrale dont émergent trois femmes.
- Datation
Ces décors romanesques sont typiques de peintres du XVIIe et du XVIIIe siècle tel que Hubert Robert (1733-1808) ou encore Patel (1604-1676). Les décors du salon bleu n’ont cependant pas la même finesse d’exécution que les tableaux des deux artistes précédemment cités. En effet il s’agit avant tout d’œuvres décoratives réalisées pour être vues de loin. Les dessus de porte ont d’ailleurs souvent été réalisés en série. C’est peut-être le cas pour ces œuvres qui présentent chacune deux rajouts de toile par couture afin d’épouser la forme des boiseries (Fig. 3). Ce changement de format nous indique que ces œuvres ont pu être réalisées pour un autre salon avec un autre type de boiserie et que leur réalisation est antérieure aux boiseries de l’Hôtel de Panette. En plus du changement de format, ces dessus de porte ont déjà fait l’objet d’une campagne de restauration, comme nous l’indique la présence d’une série de repeints et de différentes couches de vernis. L’état d’oxydation avancé du dernier vernis et le choix stylistique des repeints nous laisse à penser que cette intervention de restauration a eu lieu au XIXe siècle. C’est pourquoi notre hypothèse de datation pour ces peintures non signées est le XVIIIe.
- Etat de conservation
État de conservation de la couche picturale
Les quatre dessus de porte présentait les altérations suivantes :
-très fort encrassement de la couche picturale
-oxydation très avancée du vernis ayant conduit à son brunissement et empêchant la lecture iconographique de l’œuvre (Fig.4.).
- un réseau de craquelures d’âge marqué
-quelques lacunes ponctuelles de couche picturale
A ces altérations s’ajoutaient pour deux dessus de porte des soulèvements de matières et surtout d’importantes lacunes pour le paysage à la fontaine.
État de conservation du support
Les deux dessus de porte placés au fond du salon présentaient un état satisfaisant de conservation. Seule une légère déformation de la toile entrainée par le réseau de craquelures et une tension un peu faible étaient à déplorer.
En revanche pour les dessus de porte côté jardin les altérations étaient beaucoup plus préoccupantes. La tension si faible de la toile a provoqué leur déformation et la formation d’un ventre en partie basse.
Devant cette hétérogénéité de conservation nous avons choisi de réaliser deux interventions distinctes : pour les deux dessus de porte les mieux conservés, une intervention en place, sur échafaudage, avec pour objectif principale la remise en lecture des œuvres par un retrait des vernis oxydés. Pour les deux œuvres côté jardin, à l’état de conservation plus préoccupant, un démontage pour une restauration fondamentale en atelier.
Une restauration en deux temps.
Un chantier in situ.
Durant 10 jours, nous avons occupé le salon de l’Hôtel de Panette pour mener la première campagne de restauration (Fig.5). Nous avons d’abord procédé au refixage d’urgence des pourtours des lacunes de peinture. Puis nous avons effectué un décrassage à l’eau additionné de tensio- actifs. Les tests de dévernissage de l’œuvre nous ont permis d’identifier la présence d’au moins deux vernis, sans pouvoir déterminer si l’un d’entre eux était original. Les essais d’allégement du dernier vernis ne donnant pas satisfaction, nous avons procédé à l’élimination totale de celui-ci et à l’allègement du vernis suivant. Après avoir ménagé un temps d’évaporation nous avons réalisé les comblements des zones lacunaires avec un mélanges de colle de peau de lapin et de carbonate de calcium. Puis nous avons revernis l’œuvre selon un procédé au tampon avec une résine naturelle dammar avant de réaliser des retouches avec des peintures à base d’urée- formaldéhyde.
Un travail en atelier
Afin de pouvoir déposer les deux œuvres qui devaient partir en atelier, nous avons commencé par poser des papiers de protections locales à la face (Fig.6.). Ce travail a été réalisé sur échafaudages. Il s’agit de protéger la couche picturale dans les zones susceptibles de se désolidariser lors du transport.
Une fois ce travail de protection réalisé, les boiseries encadrant les oeuvres ont d’abord été déposées. Elles ont été désolidarisées du mur afin de laisser le tableau à nu
dans son écrin. Nous avons pu commencer à les descendre et entreprendre ainsi le voyage jusqu’à l’atelier de restauration.
La restauration de ces deux œuvres nécessitait un travail de couche picturale, et des interventions considérables sur le revers. Voici les principales opérations qui ont été menées à bien.
Un refixage, un retrait des papiers de protection préalablement posés et un nettoyage du vernis ont tout d’abord été effectués (Fig 7.). La surface se retrouve ainsi dénudée de tout matériau exogène à la peinture originale.
L’une des deux œuvres présentait d’importantes déformations et nécessitait la réalisation d’un cartonnage afin d’aplanir toute la surface déformée et pouvoir passer au doublage. Cette intervention, consiste àappliquer différents papiers (japonais, boloré,etc.) et adhésifs sur toute la face du tableau. Ce dernier est alors démontéde son châssis en bois. La double action de l’humidité et du pouvoir de l’adhésif utilisé sur les papiers collés permet d’exercer des forces de tractions sur la toile vers les bords. Nous obtenons de la sorte une surface parfaitement plane et toutes les déformations se résorbent.
Cette œuvre a par la suite été doublée sur une toile de lin, c’est-à-dire collée sur un nouveau support afin d’apporter solidité et force à la nouvelle structure. Les interventions de couche picturale ont pu être achevées : vernis intermédiaire, retouche chromatique et pose du vernis final.
Le deuxième tableau ne présentait pas autant de déformations. Après le cartonnage, des bandes de tension ont été mises en place pour reprendre la tension au moment du remontage sur le châssis. Puis un doublage aveugle est venu protéger l’arrière de la toile. Il s’agit de tendre une toile sur le châssis avant de venir tendre la toile originale par-dessus. Cela crée un soutient au revers de la toile et une protection (contre les vibrations, les projections, l’entassement de poussière). Les interventions de couche picturale ont ensuite été réalisées. Les lacunes de couche picturale étant plus nombreuses, un long travail de retouche a été entrepris pour finaliser l’opération.
Pour procédé à la repose, les châssis des dessus de porte ont de nouveau été insérés dans les boiseries (Fig. 8). Puis les boiseries replacées à leur emplacement grâce aux taquets en bois. La seule difficulté de cette opération demeurait dans la maniabilité des imposantes et lourdes boiseries à hisser sur l’échafaudage. Les propriétaires et gérants de l’Hôtel de Panette sont donc venus prêter main forte pour le bon déroulement de l’opération.
Ces quatre tableaux, bien que conservés dans la même pièce de l’hôtel de Panette, ont évolué de façon différente et ont donc nécessité des interventions de restauration différentes. Le travail in situ nous a permis de réaliser un une action sur la couche picturale dans les conditions de présentation des œuvres. Le travail d’atelier, quant à lui, nous a donné la possibilité d’aborder tous les travaux de support plus en profondeur.
Ce chantier a été l’occasion de mettre en valeur une partie du Patrimoine « caché », intime, de la ville de Bourges et par cet article, pouvoir le révéler aux yeux du public.
Ce chantier de restauration a été réalisé avec le contribution de Nerea Curuchet Unanua, conservatrice-restauratice de peinture.
Cet article a été publié pour la premiere fois en octobre 2017.